Lorsque Darius ouvrit les yeux, la pluie qui s'était abattue toute la nuit sur le château s'arrêta. L'atmosphère de la chambre était agréable. Dans l'âtre, les braises rougeoyantes du feu de la veille s'éteignaient lentement, alors qu'au dehors, sur les vitres des fenêtres du balcon, perlaient timidement quelques gouttes d'eau. Repliant délicatement ses draps en satin, l'éminence héla un serviteur. Alors qu'il s'appliquait à chausser deux bottes à lacets, on lui déposa sur les épaules une longue tunique de soie qu'il noua avec une broche en or sertie d'une émeraude.
Puis, après avoir fixé le fourreau de son épée à sa ceinture qui était ornée de motifs taillés directement dans le cuir, et vérifié qu'il était présentable et correctement coiffé, il sortit de ses appartements accompagné de son majordome et de son musicien qui maniait la flûte d'une manière admirable. Tout au long de sa route, deux enfants étaient chargés de dépoussiérer l'immense tapis de velours qui effleurait ses semelles. Une fois arrivé dans la grande salle à manger, où le cuisinier l'attendait de pieds fermes, il prit place à une table en bois d'ébène. Son fauteuil qui avait depuis pris son nom du fait de sa complexité, était une œuvre unique.
Les couloirs, la salle à manger, tout le château lui paraissait tristement vide. Les serviteurs faisaient partie intégrante du décor et cela faisait des jours entiers qu'il n'avait pas eu de visiteur, ni même que ses fidèles étaient sortis de leurs modestes chambres. Darius était las. Cette même vie pour laquelle il s'était battu dans sa jeunesse, elle ne rimait plus à rien désormais qu'il était seul. Elle était morne et fastidieuse, trop ennuyeuse. Cela faisait des années, des siècles, que tout ce qu'il avait entrepris avait lamentablement échoué. Il n'avait plus le goût à rien. Darius était triste et fatigué.
Il y avait cependant un moment de bonheur dans tout ce marasme. C'était lorsqu'il gagnait le grand pigeonnier en hâte, afin de vérifier si quelques lettres lui étaient adressées. Souvent il n'y avait rien d'autre que des plaintes de villageois, ou même des traités envoyés par des seigneurs voisins, qui avaient eu vent de sa renommée. Mais il arrivait qu'au milieu de tous ces parchemins encombrants il y ait une lettre d'amitié. Et celles là, il les gardait précieusement. C'était le cas par exemple des lettres que lui avait envoyées Keats, quelques jours plus tôt.
Il y avait trouvé étrangement une invitation, une proposition. Venir visiter le fameux repaire de ces rebelles assassins tueurs en série. La proposition n'était pas malhonnête, et en vérité, elle tombait à point nommé. Il n'avait plus rien à perdre, hormis son cher disciple peut-être, qui n'était toujours pas revenu d'une chasse dangereuse. C'est ainsi qu'il avait reçu une carte conduisant à l'antre mythique, au repaire égaré, après avoir donné réponse favorable.
Après avoir fini de manger et de repenser aux évènements qui s'étaient produits les derniers jours, Darius remit les clés du château, celles de son propre sanctuaire, à son plus fidèle serviteur. C'est après seulement qu'il prit la route, seul, un baluchon sur le dos. La cachette des rebelles n'était pas loin, contrairement à ce qu'il pensait et il l'eut vite atteinte. Lorsqu'il s'arrêta en face de l'entrée, qui se voulait discrète en dépit des traces de sang, le tonnerre gronda.
En l'espace de quelques instants, il se retrouva détrempé, mouillé jusqu'aux os. Ses habits étaient tout comme ses affaires, imprégnés de la pluie qui semblait torrentielle. Dans son malheur, il repensa amusé aux préparatifs du matin. Sa voix masquée par le bruit de l'impact des gouttes sur le sol, il hurla quelques mots.
- Ki..Ki... Keats ? Quelqu'un ?